Sunday, March 7, 2010
Christian Schmitt on Matthew Dibble
A 52 ans, Matthew Dibble peintre de Cleveland OH a déjà atteint une maturité exceptionnelle dans son art autant par la qualité de ses dessins que par sa peinture.
Certes il se considère avant tout comme un dessinateur (il dessine depuis l'âge de 13 ans !) et c'est d'ailleurs grâce à ce don précoce qu'il nous fait entrer dans un monde étrange digne de la mythologie peuplé d'êtres venus d'ailleurs.
A la frontière de l'animalité et de l'humanité, l'univers vivant de Matthew ressemble à celui de Jean Cocteau qui lui aussi a emprunté certaines figures de la mythologie avec notamment Orphée et Œdipe. A l'époque de la sortie de la pièce de théâtre « Œdipe », Colette écrivait un article prodigieux d'intelligence à son ami Cocteau en ces termes : « Où va ce novateur ? Au passé. Au fabuleux mythologique, au classique merveilleux. Il s'élance à rebours. Il retourne vers Orphée, vers le Sphinx. Vers ce qu'il a peut-être connu ... ? ».
Matthew reprend d'une certaine manière le même flambeau en réactualisant dans son panthéon personnel les mythes anciens. Il exhume par ses dessins (et aussi ses peintures figuratives) les formes étranges et énigmatiques de ces êtres sortis tout droit de notre inconscient collectif, lui-même hérité du passé ancien ou mythologique de notre humanité.
Ce faisant il nous révèle avec beaucoup de force et de conviction les peurs et les angoisses ainsi que les espoirs qui collent à notre humanité.
La peinture (abstraite) est venue plus tardivement chez Matthew et il ressent toujours les vagues hésitations d'un débutant, estimant parfois que ce mode d'expression est trop exigeant pour lui. Voici d'ailleurs ce qu'il déclare lui-même :
« J'essaye de me débarrasser de mes a priori pour ne pas tomber dans la routine car je possède le coup de main alors que j'ai besoin de découvrir quelque chose de nouveau. Comment mettre plus de sentiments dans mon œuvre ? Suis-je honnête dans mon processus créatif ? Cela m'amène à des questions plus importantes: qui suis-je, puisque je suis ici ?
Mon œuvre est en fait le résultat de ce que j'ai toujours pratiqué: le dessin. A l'âge de 13 ans, j'ai dessiné à l'encre de Chine en plongeant le pinceau dans l'encrier. J'étais fasciné par le trait en utilisant toujours ce même matériau.
Quand la peinture est trop exigeante pour moi, je retourne au dessin. J'ai toujours pensé que ce que je représente dans mes petits dessins est plus fort que dans mes grandes toiles.
J'ai continué à peindre et à dessiner et les surfaces de mes peintures sont devenues assez intéressantes mais il leur manque quelque chose, une qualité dans les dessins que je ne trouve pas dans les peintures.
Ce n'est que récemment que je suis capable de transposer les dessins dans les peintures les plus grandes. »
Le critique d'art Douglas Max Utter juge quant à lui le travail pictural de Matthew Dibble dans la continuité du chemin tracé par Cézanne jusqu'à De Kooning. Voici ce qu'il déclare notamment :
« Pour un peintre comme Dibble qui s'est intéressé aux tensions des travaux contemporains de l'œuvre de Cézanne jusqu'à De Kooning. L'activité centrale de son art consiste dans une chorégraphie très intense consistant à mêler ces deux peintres qui paraissaient incompatibles, très éloignés l'un de l'autre.
Ces figures ou ces paysages ou animaux fantastiques, mythiques sont rendus dans un style graphique simple et direct qui rappelle les esquisses attirantes, très puissantes, de vigueur de Matisse ou de Jean Cocteau de la vie des cafés de Paris.
Les nouvelles peintures telles que "Year Without a Summer" et "Chinese New Year" parviennent à capter l'espace pictural ...des lignes noires exécutées avec une grande précision. Une série de colonnes verticales qui se détachent dans une œuvre récente appelée "Bushwhack".
Devant ces choses, des lignes qui évoquent une scène de la mythologie.
Au centre, il y a une tête qui se détache le grand corps épais d'une bête dont les jambes qui se terminent en appendice et qui ressemblent à des pieds. On trouve d'autres figures réparties sur l'ensemble qui peut ressembler à des paysages. Un effet comme une vision de constellations inconnues. »
En accord avec Douglass Max Utter, je pense également que Matthew Dibble est dans la continuité de ces deux illustres prédécesseurs.
Comme De Kooning la figure reste toujours prépondérante chez Dibble et comme lui, il ne considére jamais l'abstraction comme une fin en soi. Par référence aux "Femmes" de De Kooning, Dibble développe pour sa part le thème de ses êtres étranges avec la même cruauté et lucidité que son illustre prédécesseur. Et puis cet investissement du corps dans le processus de création nous amène à des rapprochements troublants entre ces deux peintres.
Enfin la manière de Dibble de travailler la peinture dans ses œuvres abstraites nous fait penser autant à Cézanne qu'à De Kooning : il est dans la tradition de l''Action Painter : « l'acte de peindre est de la même substance métaphysique que l'existence de l'artiste » comme le disait le critique Harold Rosenberg et plus loin aussi : « la nouvelle peinture a aboli toute distinction entre l'art et la vie ».
Enfin la palette lourde et épaisse utilisée par l'artiste rappelle le travail de Cézanne dans sa période couillarde mais également à l'aube de sa vie lorsqu'il annonçait prophétiquement les premiers balbutiements de l'abstraction et du cubisme !
Le témoignage de Matthew Dibble intitulé « Artist Statement » ainsi que le commentaire de Douglas Max Utter seront reproduits ci-dessous en anglais.
Text in English
The testimony of Matthew Dibble entitled "Artist Statement" and the commentary by Douglas Max Utter are reproduced in English.
Artist Statement By Matthew Dibble
Making a statement about my painting doesn't feel authentic to my experience as an artist. Sitting here drafting this view I'm thinking about what I want to say about my work. This also doesn't feel related to my experience.
Can it be said I am an artist when painting but other times, no? I see I've been led to a question. When am I an artist? An artist question seems more appropriate at this time. The creative process puts me in question. When I begin to work, the first thing I see is how lazy I am, and how weak my attention is. I see I want to fall back on old tricks, things I know that will make a successful painting. But I'm trying to discover something new.
So I begin to let go of my old ideas, my habitual way of doing things, my grasping approach. I notice another part of myself, a quieter part. Instead of trying to make something happen, I try to allow more of this part to surface.
I'm very much interested in this process, not necessarily to make a good picture but to
discover something new. How can I bring more feeling to my work? Am I being honest about my experience as a painter? This questioning process leads to bigger questions such as who am I and why am I here?
My current work is very much related to something I've been doing for a long time-drawing. As far back as I can remember, I would draw pictures. Somewhere around the age of thirteen, I began to draw with India ink, dipping the pen into the ink jar. I was endlessly fascinated with the line and continued to draw using these materials to this day.
When painting seemed too demanding, I would draw. I always felt that the imagery and scale of my smaller drawings was stronger than in my larger work. I continued to paint and draw, and the surfaces of my paintings became quite interesting but somehow they lacked something, a quality the drawings had but I could never transfer to the paintings.
I stayed with it for over 20 years, and recently have been able been able to use the compositions from the small drawings successfully in the larger paintings.
(http://www.dibblepaintings.com )
The Persistence of Matt Dibble August 30th, 2006
By DOUGLAS MAX UTTER
For a painter's painter like Dibble, versed in the tensions of modernist work from Cezanne to DeKooning, the central activity of his art is to choreograph an ever more intense dance involving these two eternally incompatible partners.
The long stretch of art practice is something like dreaming. It takes place as much in the mind as in the studio, and time travel is commonplace.
In recent large paintings on canvas, Dibble returns to themes and techniques that have preoccupied him since the age of 13, when he began a series of small line drawings. Those involved fantastic people and animals, mythic in feeling and rendered in a simple, uninflected graphic style reminiscent of Henri Matisse, or Jean Cocteau's vivid sketches of Paris café life.
New paintings like "Year Without a Summer" and "Chinese New Year" are mostly about wrapping the pictorial space in a maze-like warp of precisely executed black lines.
A tightly packed series of bluish vertical columns form a background grid in another recent work titled "Bushwhack." Flickering in front of these are lines that evoke a mythological scene. Toward the center a head is flung back along the broad body of a beast whose legs terminate in hoof- or foot-like appendages. Other faces hover, upside down or sideways, among marks that could represent landscape features. The total effect is like a vision of unknown constellations, mapped across swathes of a digitally cloned sky.
(http://www.dibblepaintings.com )
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